Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
les-fiches-de-muller.over-blog.com

Lettre d’Hergé à Tintin

Cette lettre a été lue sur les ondes d’Inter Variétés (France Inter) le 21 juin 1964 dans l’émission « Quelque part en France »

Cette lettre a été lue sur les ondes d’Inter Variétés (France Inter) le 21 juin 1964 dans l’émission « Quelque part en France »

Les images extraites de l’œuvre de Hergé sont la propriété exclusive de MOULINSART SA. © Hergé-Moulinsart 2019.

« Mon Cher Tintin,

Voilà 35 ans que tu es mon fils, et c’est la première fois que je t’écris.

J’ai voulu, d’emblée, que tu vives ta vie. Vingt fois tu es parti courir le monde. Pendant ce temps, moi, le crayon à la main, noircissant des tonnes de papier à dessin, je rêvais tes aventures. Ainsi donc, depuis toujours, nous avons été très séparés ; et, à la fois, unis par le lien le plus étroit qui puisse relier deux êtres. J’ai une grande habitude de « correspondre » avec toi, mais pas par lettre.

De là, sans doute, en commençant celle-ci, le manque d’assurance, le léger émoi que je ressens. Tu m’intimides, Tintin !

Suis-je fier de toi ?… oui, évidemment. Tu m’as donné de grandes joies, bien des tracas aussi, mais jamais le moindre motif de chagrin ou de mécontentement. Il fut même une époque - celle de ma jeunesse - où mon idéal eut été de te ressembler. J’aurais aimé être un héros sans peur et sans reproche. Hélas c’était une illusion, depuis longtemps envolée… Je ne transpose plus la parole évangélique : « Soyez parfait comme votre fils est parfait. » Parfait, si quelqu’un l’est, c’est toi. Je ne devrais que m’en trouver comblé. D’où vient que j’en suis un peu déçu ?… De ce que tu es, justement, trop parfait. De ce que j’ai, moi, homme normal, issu de parents normaux, un rejeton qui n’est pas « comme les autres ». De qui tiens-tu cela ?

Pourquoi y-a-t-il chez toi quelque chose, (comment dirais-je…) de pas tout à fait humain. J’avais fondé de grands espoirs sur le capitaine Haddock. A force de vous fréquenter tous les deux, il devait, lui, fatalement, se policer à ton contact, et c’est ce qui n’a pas raté ; mais toi, tu n’as emprunté aucune de ses aspérités, aucune de ses faiblesses, tu n’as rien pris de lui, même pas un doigt de whisky.

Mais je m’arrête, mon poignet a été saisi par un ange, collègue de celui qui, parfois, retient Milou sur la mauvaise pente. Te lancer dans une carrière (soi-disant le journalisme, en réalité la Chevalerie) cela, j’en avais le droit. Mais ce n’est tout de même pas à un père de guider son fils dans le choix de ses défauts !

Salut, mon petit gars ! Je dirais même plus : salut !

Hergé »

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article